INTRODUCTION AUX TECHNIQUES ET AU VOCABULAIRE DE LA GRAVURE

 

Avant d’aborder les diverses techniques de l’estampe et de la gravure, il convient de les définir : qu’est qu’une estampe ? Qu’est-ce qu’une gravure ? Quelle est la différence entre les deux ? Il convient également de définir certains termes couramment utilisés, et d’aborder certains points de vocabulaire : qu’est-ce qu’une gravure originale ? qu’est-ce qu’un état, un tirage, une planche ? Que signifient les différents termes latins utilisés par les artistes pour légender leurs œuvres ?

 

I - Estampe et gravure: définitions et distinction

Commençons par un peu d’étymologie. Le mot français « estampe » dérive de l’italien stampa, c’est-à-dire « impression », qui renvoie lui-même au mot germanique stampjan signifiant « écraser, frapper ». L’estampe désigne donc le résultat d’une impression. Ce qui est imprimé, c’est une image, un dessin, reproduit (en principe) en de multiples exemplaires, à partir d’une matrice encrée. C’est le report de l’encre sur le papier, lors de l’impression, qui permet de créer l’estampe.

La manière dont l’artisan ou l’artiste travaille la matrice permet de différencier une estampe, terme large, d’une gravure, terme plus précis. On appelle « gravure » le résultat de l’impression d’une image, d’un dessin, à partir d’une matrice qui a été gravée. C’est en ôtant de la matière à la matrice, selon diverses techniques, que le dessin est créé. Le procédé d’impression est quant à lui similaire. S’agissant de l’étymologie, le terme de « gravure » dérive du grec graphein, qui signifie « écrire, dessiner ».

Autrement dit, la gravure désigne une catégorie d’estampe, qui se décline elle-même en plusieurs catégories. Ainsi, les xylographies, les burins, les eaux-fortes, les aquatintes, sont des gravures, et donc des estampes. En revanches, les lithographies, les sérigraphies, les monotypes, sont des estampes, mais il ne s’agit pas de gravures à proprement parler, puisque dans ces techniques, la matrice n’est pas gravée, il n’y a pas retrait de matière.

 

II - La classification des estampes

Il existe plusieurs manière de différencier et de classer les différents types d’estampes. On peut s’intéresser au matériau de la planche, de la matrice : pierre, bois, métal, matériaux synthétiques, etc. Ainsi, ces matériaux peuvent donner leur nom à une technique (lithographie, chalcographie, xylographie…) Le mode d’élaboration de la matrice peut aussi être pertinent : élaboration selon une technique mécanique (xylographie, burin…), chimique (eau-forte, aquatinte, lithographie…) ou encore photochimique (héliogravure, phototypie…)

Mais le critère reconnu comme étant le plus pertinent pour classer les estampes est le mode de tirage, c’est-à-dire l’emplacement sur la planche des parties qui impriment le motif (éléments en creux, en relief, sur la surface de la matrice…) Ce critère permet de répartir l’estampe en quatre grands groupes :

•   Gravure en relief, dite aussi taille d’épargne : la matrice est creusée tout autour de la ligne du dessin, de façon à ce qu’il se retrouve en relief ; l’encre se dépose sur ce relief et s’imprime à partir de celui-ci.

•   Gravure en creux, dite aussi taille douce : la matrice est creusée selon la ligne du dessin ; l’encre se dépose à l’intérieur des creux, et s’imprime à partir de ceux-ci.

•   Techniques à plat : la matrice n’est pas creusée ; l’encre reste en surface.

•   Technique au tamis ou à l’écran : le motif est reproduit en faisant passer l’encre à travers un écran, travaillée de manière à ce que l’encre ne passe qu’aux endroits où le dessin doit être retranscrit.

 

III - Le vocabulaire de la gravure

Tirage, épreuve, planche, états…

On appelle « tirage » la multiplication d’un motif, d’un dessin, d’un texte, élaboré grâce au transfert d’une encre sur du papier (ou un autre support adéquat) à partir d’une matrice.

Le terme de « planche » désigne la matrice, c’est-à-dire le support du motif à reproduire. Elle peut être réaliser à partir de matériaux divers : bois (de bout ou de fil), métal (cuivre, zinc…), pierre, verre, textile, matériau synthétique…

Le terme « épreuve » désigne le résultat d’un tirage. Une matrice permet de réaliser (en principe) plusieurs épreuves : c’est là l’objectif premier de l’estampe, qui est un art du multiple. Or, au fil des impressions, les épreuves peuvent varier. En effet, l’apport manuel d’encre ou un tirage manuel, par exemple, ne permettent pas forcéent d’obtenir des épreuves parfaitement identiques.

Les « états » d’une estampe ou d’une gravure désigne les différentes étapes d’élaboration de leur matrice. Au fil de son travail, l’artiste peut vouloir le vérifier en réalisant une épreuve, avant de retravailler sa planche, jusqu’à l’obtention du résultat voulu. On parle d’états d’une gravure uniquement pour les épreuves obtenues à partir d’une même planche. On peut numéroter les états (« premier état », « deuxième état », etc.) en fonction de leur ordre de réalisation. On peut également les classer selon une nomenclature précise :

•   Epreuve d’artiste (E.A.) / Epreuve d’état (E.E.) : ce terme, surtout utilisé dans le domaine de la lithographie, désigne un tirage réalisé par l’artiste lui-même, avant qu’il ne donne sa planche à un imprimeur chargé de réaliser l’ensemble du tirage. Généralement, ces épreuves sont numérotés en chiffres romains.

•   Contre-épreuve : à partir d’une épreuve, l’artiste la reproduit sur un second papier lorsque l’encre est encore fraîche (le motif est alors inversé). Ce procédé permet à l’artiste de suivre la progression de son travail.

•   Epreuve avant la lettre : il s’agit d’une épreuve ne comportant aucune mention textuelle, en général placée sous le motif, qui permet de l’identifier (nom de l’artiste, légende, dédicace…)

•   Remarques : il s’agit des « croquis », des esquisses et essais réalisés par l’artiste dans la marge de la planche, dans l’optique de suivre la progression de son travail. Les remarques sont ensuite effacées de la planche avant le tirage.

•   Premiers tirages : il s’agit (en théorie) des meilleurs épreuves d’un tirage, la matrice alors en parfait état donnant des épreuves de bonne qualité par rapport aux dernières.

•   Variantes : au fil d’un tirage, l’artiste peut modifier le motif, ajouter ou supprimer des lignes à son dessin, le corriger. Il peut aussi changer le papier (qualité, couleur…)

•   Derniers exemplaires d’un tirage : la qualité des dernières épreuves d’un tirage voit (en théorie) une baisse de qualité, du fait de l’usure de la matrice.

•   Epreuve de vérification : afin de prouver l’achèvement d’un tirage, et de garantir que la matrice ne sera plus utilisée par une personne non autorisée par l’artiste, celle-ci, avant d’être éventuellement détruite, est rayée. On tire ainsi quelques épreuves témoins.

 

Distinction entre gravure originale, gravure de reproduction et reproduction

Qu’est-ce qu’une gravure originale ? Le terme de « gravure » est souvent employé, à tord, dans les catalogues de ventes aux enchères par exemple, pour désigner une lithographie, celui de « lithographie » est utilisé pour désigner une reproduction offset, et au mieux le mot « estampe » est employé pour désigner toute image qui paraît avoir été imprimée, sans que l’on ne parvienne à identifier la technique utilisée… S’il est vrai que le vocabulaire de l’estampe et de la gravure est riche, et qu’il peut paraître complexe à appréhender, il faut être prudent lorsqu’on l’utilise. Pour des images de faible valeur artistique et commerciale, l’erreur a peu de conséquences. Mais dire de la reproduction d’une estampe de Picasso qu’il s’agit d’une estampe originale est plus grave… Il est donc important de savoir distinguer entre gravure originale, gravure de reproduction et reproduction.

Les termes de « gravure originale » et « estampe originale » désignent les épreuves qui résultent de la création d’un artiste, qui l’imagine et la crée grâce à son intelligence, à son sens artistique et à son savoir-faire. Plusieurs conditions doivent être remplies pour qu’une estampe soit qualifiée d’originale :

•   L’artiste doit créer lui-même la planche, la matrice. Il peut se faire aider, mais doit pleinement prendre part au processus de création.

•   L’intégralité du tirage doit être réalisé par l’artiste, à partir de la planche originale. Le tirage peut être directement réalisé par l’artiste, ou bien par l’imprimeur de son choix, en respectant les procédés techniques traditionnels.

•   La gravure originale fait partie d’un tirage qui comporte un nombre d’exemplaires précis, défini par l’artiste. Cette limite de tirage doit être respectée, et se retrouve en général dans la numérotation de la feuille. S’agissant des estampes modernes et contemporaines, le nombre d’épreuves par tirage doit être raisonnable, même s’il n’existe pas de règle. Par exemple, le tirage d’une eau-forte peut aller jusqu’à 100 exemplaires, celui d’une lithographie jusqu’à 200. Moins il y a de tirages, plus les épreuves sont précieuses et de bonne qualité. Les artistes n’ont donc en général pas intérêt à multiplier déraisonnablement les tirages

Ces critères s’appliquent surtout aux estampes modernes et contemporaines. Il est évident qu’ils ne peuvent pas s’appliquer aux gravures anciennes. En effet, jusqu’au XIXe siècle, le critère d’originalité artistique ne s’entendait pas de la même manière qu’aujourd’hui. Les artistes pouvaient largement s’inspirer d’œuvres autres que les leurs. Aussi, les artistes pouvaient entièrement déléguer la réalisation de la matrice, à partir de leurs dessins, ainsi que l’impression, à des artisans spécialisés. Les tirages n’étaient pas non plus limités.

Qu’est-ce qu’une reproduction originale ? Une reproduction originale résulte du tirage manuel, en quantité limitée, d’une planche réalisée à partir du modèle original d’un autre auteur que celui qui réalise la reproduction originale.

Qu’est-ce qu’une reproduction ? Une gravure de reproduction est réalisée à partir d’une matrice créée d’après une œuvre originale. L’objectif est de reproduire le plus fidèlement possible le modèle original, en un grand nombre d’exemplaires, grâce à des procédés photomécaniques et des méthodes d’impression modernes. Bien souvent, il suffit d’observer la gravure avec une loupe pour s’apercevoir qu’il s’agit d’une reproduction moderne.

 

Pinx., ex., fec., inv., sculps…: la signature des estampes

Si les premières estampes sont anonymes, elles commencent à être signées au XVe siècle, avec des monogrammes intégrés au dessin. Le plus célèbre est sans doute celui d’Albrecht Dürer (« AD ») ; d’autres n’ont toujours pas pu être identifiés. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les artistes signent leurs estampes de manière manuscrite, en bas du motif.

Aux débuts de l’art de la gravure en Occident, il est difficile de faire la distinction entre le travail du peintre et l’éventuel travail d’un artisan graveur. Ce n’est que plus tard qu’apparaît la distinction, grâce à la mention de leurs deux noms, en général gravés sous le bord inférieur du motif. Par convention, le peintre est mentionné à gauche, et le graveur à droite. Des abréviations latines peuvent être utilisées pour éclaircir leur fonction précise :

•   del., delin., delineavit : « dessina ».

•   pinx., pinxit : « peignit »

•   comp., composuit : « composa »

•   inv., invenit : « inventa »

•   sc., sculps., sculpsit : « tailla »

•   inc., incidit : « grava »

•   f., fe., fec., fecit : « fabriqua »

•   lith. : « lithographia »

•   imp., impressit : « imprima »

•   e., ex., excudebat, excudit : « édita »

S’agissant des estampes modernes et contemporaines, on trouve en général des mentions manuscrites au crayon de papier, en-dessous du motif, avec la signature de l’artiste (généralement en bas à droite), la numérotation (généralement en bas à gauche, à l’aide d’une fraction) et les éventuels titre, date, dédicace, indication de la technique employée ou de l’état, etc.

 

IV - Le support des estampes: le papier

Une fois la matrice créée, l’artiste ou l’artisan graveur doit sélectionner un papier adaptée à la technique choisie.

 

Fabrication du papier

Invention chinoise du début de notre ère, le papier, à l’origine fabriqué à partir de résidus de soie ou de végétaux (bambou, mûrier, etc.) se répand ensuite en Asie, puis dans le monde arabe, et enfin en Occident. On l’utilise d’abord, à partir du XIIe siècle, en Espagne, en Italie, en France, dans le Saint-Empire, puis enfin, au XIVe siècle, dans toute l’Europe. On utilise alors, pour le fabriquer, des fibres textiles, des vieux chiffons de chanvre, de lin ou de coton, qui sont lavés, lessivés, bouillis et réduits en fines particules. Ces dernières, mélangées à de l’eau, forment une pâte liquide qui est prélevée à l’aide d’une forme, constitué d’une grille quadrangulaire placée dans un cadre en bois. Tandis que l’eau passe à travers, les particules s’agglutinent sur la grille : la feuille de papier se forme ainsi, après plusieurs passages et secousses. Humide, elle est placée sous une presse pour évacuer l’eau, puis suspendue pour terminer le séchage. La grille de la forme laisse sa trace sur la feuille ; on peut y voir, par transparence ou en surface, les vergeures (lignes parallèles très serrées) et les pontuseaux (lignes perpendiculaires aux vergeures, et plus espacées).

A partir du XVIIIe siècle, la fabrication du papier se mécanise progressivement. Au XIXe siècle, elle s’industrialise, et un nouveau type de papier apparaît : il est réalisé à partir de copeaux de bois, ou de cellulose de paille. Ces matériaux permettent de créer du papier en des quantités beaucoup plus importantes, au détriment de sa qualité. En effet, au fil du temps, les papiers à base de bois jaunissent et deviennent cassants, contrairement au papier chiffon, qui demeure relativement souple.

De nos jours, les techniques de fabrication modernes comme artisanales permettent d’obtenir une grande variété de papiers. Les papiers de meilleure qualité, qui ne contiennent pas de bois ni de cellulose, sont utilisés pour imprimer les gravures au burin et les eaux-fortes. Certains papiers luxueux, comme le papier Japon, peuvent être privilégiés, pour les lithographies par exemple.

 

Marques et filigranes

Les papiers anciens (et certains papiers modernes) peuvent comporter un filigrane, c’est-à-dire la marque de son fabricant. Il s’agit d’un motif réalisé en fils de métal, intégré à la trame métallique de la forme, et qui laisse sa marque sur le papier. Il en existe une multitude et, lorsqu’ils sont référencés, ils peuvent donner une indication de datation de la feuille. Par exemple, la présence d’un filigrane du XVIIe siècle sur une gravure de Dürer indique qu’il s’agit d’un tirage tardif, post-mortem. En revanche, un filigrane ancien ne permet pas de forcément dater une gravure, puisqu’elle a pu être imprimée sur un papier fabriqué fort antérieurement. Cette remarque vaut notamment pour les gravures primitives du XIVe et du début du XVe siècle, époque où le papier pouvait être stocké pendant longtemps. Mieux vaut donc se baser sur des caractéristiques stylistiques pour dater ces gravures.

Les papiers modernes peuvent comporter des marques, imprimées selon le même principe que les filigranes. Elles apparaissent par transparence, en toutes lettres. Parmi les plus connues, on peut citer Rives, Arches, Fabriano, Johannot, Marais, Montval, Vidalon, etc.

Date de dernière mise à jour : 23/01/2024