La gravure au criblé est spécifique au XVe siècle. Son histoire est courte et bien datée : elle apparaît vers 1450, et disparaît vers 1500. Cette technique, qui se développe en parallèle de la xylographie et de la taille-douce, a permis de créer un corpus d’œuvres au style bien reconnaissable, qu’il va s’agir ici de caractériser.
I - Technique
La technique de la gravure au criblé, ou gravure en relief sur métal, est issue des techniques de l’orfèvrerie. Son principe est similaire à celui de la xylographie. La matrice en métal, en général du plomb ou de l’étain, est traitée en taille d’épargne : le graveur enlève de la matière pour dégager les traits en relief, qui recevront l’encre. Il utilise trois outils : le burin, la gouge et le poinçon. La gouge sert à dégager de larges zones devant rester blanches. Le burin permet de dessiner les contours, affiner les détails, travailler le modelé. Le poinçon, outil essentiel de cette technique, permet d’imprimer des motifs dans la planche : points, étoiles, fleurettes, pointes de diamant, vaguelettes… C’est la multiplication de ces motifs poinçonnés sur une planche qui a donné le nom de « criblé » à la technique, et qui la caractérise.
La variété des poinçons au sein d’une même gravure, et le soin que le graveur peut prendre à les apposer de manière régulière, permettent de créer des effets décoratifs spécifiques, que l’on ne retrouve pas dans les autres techniques. En revanche, lorsque les poinçons impriment des motifs quelconques, ou trop espacés, ou que ces derniers sont ensuite trop retravaillés à la gouge ou au burin, il est parfois difficile de faire la différence entre une xylographie et une gravure au criblé.
II - Histoire, style et datation
La technique du criblé dérivant de l’orfèvrerie, ce n’est pas un hasard si elle apparaît puis se développe dans les anciens Pays-Bas et le Bas-Rhin. Ces régions connaissent en effet un essor important de l’orfèvrerie au XVe siècle. Beaucoup de gravures au criblé sont des œuvres d’orfèvres, et n’étaient peut-être pas destinées à être imprimées.
On ne s’étonnera pas que la majorité des gravures au criblé figurent des sujets religieux. Leur fonction est en effet la même que les premières xylographies : images pieuses aux vertus prophylactiques, ou support d’indulgences, pouvant aussi orner les livres manuscrits ou les premiers incunables, surtout le revers des reliures.
Stylistiquement, les gravures au criblé sont gothiques, et certaines se rattachent à l'Ars Nova, qui se développe en peinture dans les anciens Pays-Bas au XVe siècle sous les pinceaux de Jan VAN EYCK (1390-1441), Robert CAMPIN (1375-1444), Rogier VAN DER WEYDEN (1400-1464) et bien d'autres. Ce style rompt progressivement avec le gothique international. Les artistes cherchent à rendre de manière objective et réaliste les intérieurs, les textiles, les matières, grâce aux recherches sur la perspective et la lumière, et grâce à l'emploi de la peinture à l'huile. Ce réalisme pictural est en partie repris en gravure, surtout dans le décor de certaines scènes.
La gravure au criblé suit l’évolution de la xylographie. Ainsi, les bordures se font de plus en plus décoratives, et peuvent être imprimées à l’aide d’une autre matrice, gravée sur bois ou sur métal, en même temps que l’image centrale ou dans un second temps. On remarque sur certaines une grande variété dans les poinçons utilisés. Très souvent, le graveur manifeste une certaine horreur du vide, tant la planche est couverte de motifs décoratifs et de détails foisonnants, ce qui peut nuire à la lisibilité de l’image. Cela n’exclut pas que certaines gravures au criblé présentent des fonds entièrement blancs. Elles peuvent, comme les xylographies, être rehaussés à la main, le plus souvent de rouge, de vert, d’ocre et de bleu.
La plus ancienne gravure au criblé datable avec certitude est le Saint Bernardin de Sienne [Fig. 1] de la Bibliothèque nationale de France, qui porte la date de 1454. Une autre gravure, Saint Jean l’Evangéliste et saint Paul, conservée au Louvre, daterait de 1423, mais sa datation ne fait pas l’unanimité, et il s’agirait d’un travail d’orfèvre. La plupart des historiens de l’art s’accordent à dire que le criblé apparaît au milieu du XVe siècle, pour disparaître dès la fin du XVe ou au début du XVIe siècle.