Le maître WA, Maître W avec la clé, ou encore Maître W avec la marque en forme de maison, actif dans les anciens Pays-Bas entre 1465 et 1490, doit son nom à sa signature, la lettre W suivie d’une sorte de A ressemblant à une clé.

Le Maître W avec la clé (Pays-Bas, v.1465-1490)

 

 

Le maître WA, Maître W avec la clé, ou encore Maître W avec la marque en forme de maison, actif dans les anciens Pays-Bas entre 1465 et 1490, doit son nom à sa signature, la lettre W suivie d’une sorte de A ressemblant à une clé. Certains y voient la marque d’un atelier, tandis que d’autres l’identifient à Willem van Wentem, Jean de Wilde ou encore Daren van Willebeke. Il est impossible de trancher la question avec certitude, mais les différences de qualité d’une gravure à l’autre font plutôt pencher la balance du côté d’une production d’atelier. Il est quasiment certain qu’il (ou ils) était flamand, et il aurait travaillé à la cour de Charles le Téméraire (1433-1477).

Maître W avec la clé. Fermoir de manteau gothique, avec deux ornements feuillagés, 1465-1490. Gravure au burin, 21,5 x 15,3 cm. Vienne, Albertina

 

 

La série des bateaux

Parmi les 80 gravures qu’on lui attribue, les plus singulières sont sans doute celle faisant partie de la série de Bateaux. Il s’agit des premières estampes occidentales connues traitant de ce sujet. On peut y voir la représentation de la flotte du puissant duc de Bourgogne, ou encore des nefs orfévrées servant à décorer les tables prestigieuses, comme celles réalisées pour le mariage du même duc à Bruges en 1467. Cette thématique navale pourrait d’ailleurs donner un indice sur le lieu d’exercice du Maître W avec la clé. Bruges était alors un important centre de l’industrie navale flamande.

Du point de vue technique, il faut souligner la précision des traits, la finesse du dessin et le rendu des ombres par des traits croisés ou parallèles. Ce goût tout flamand pour le rendu des détails ne cache pas certaines maladresses dans le traitement des proportions et de la perspective. La représentation de l’eau, très stylisée, est encore médiévale. On remarque une volonté de varier les points de vue ; tantôt les navires sont représentés de profil, tantôt de trois-quarts vers l’avant, tantôt de trois-quarts vers l’arrière. Une gravure représente même un navire échoué sur un récif, le mât brisé. Faut-il y voir un navire ennemi, ou bien relativiser l’identification de ces navires avec la flotte du Téméraire ? Enfin, il faut noter l’absence de tout personnage.

Maître W avec la clé. Bateau, 1465-1490. Gravure au burin, 16,2 x 12,9 cm. Londres, British Museum

Maître W avec la clé. Bateau, vers 1490. Gravure au burin, 16,6 x 13,4 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

Maître W avec la clé. Navire défaillant, 1465-1485. Gravure au burin, 13,4 x 17,7 cm. Berlin, Kupferstichkabinett

 

 

Les batailles et campements du duc de Bourgogne

Autre lien entre le Maître W avec la clé et les ducs de Bourgogne, la série de neuf gravures consacrée aux Batailles et campements du duc Philippe de Bourgogne. Certaines donnent à voir des cavaliers en rangs serrés, adoptant des attitudes diverses et portant des armures et des tenues paraissant identiques, mais comportant des variantes lorsqu’on les regarde de près. D’autres montrent les soldats qui s’affairent sur le campement, autour des grandes tentes. Comme les nefs, ces images avaient sans doute pour objet de magnifier la puissance du duc, et s’inscrivent dans le goût de l’époque, et qui survivra à la Renaissance, pour la chevalerie et les idéaux qu’elle véhiculait.

Maître W avec la clé. Détachement de vingt soldats, 1465-1490. Gravure au burin, 8,7 x 14,8 cm. Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. L’écurie, 1465-1490. Gravure au burin, 12 x 19 cm. Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. Tente aux armes de Bourgogne, avec soldats, 1465-1490. Gravure au burin, 18,5 x 23,5 cm. Vienne, Albertina

 

 

Le raffinement de l'orfèvrerie

Une autre part importante de la production du Maître W avec la clé est consacrée à la représentation d’objets d’orfèvrerie. Difficile de ne pas y voir des modèles d’orfèvre, et la révélation du métier premier de ce graveur. Ces objets, qui peuvent paraître fabuleux et fantaisistes, reprennent parfaitement les canons de l’orfèvrerie de l’époque, marquée par le style gothique flamboyant. Arcs brisés, lancettes, soufflets, mouchettes, rosaces, bases prismatiques, pinacles élancés, fleurons, crochets et autres rinceaux feuillagés se multiplient, et donnent forme à des monstrances, des crosses, des reliquaires, des fermoirs de manteau, des fontaines ou encore des gobelets. Si le traitement de la perspective n’est pas parfaitement maîtrisé, on admire la richesse et la finesse des détails : chaque élément est figuré avec une précision chirurgicale, qui n’est pas sans rappeler celle des peintres flamands de l’Ars Nova, Van Eyck en tête.

Maître W avec la clé. Encensoir, 1465-1485. Gravure au burin. Berlin, Kupferstichkabinett

Maître W avec la clé. Gobelet gothique, 1465-1490. Gravure au burin, 28,9 x 11,6 cm. Londres, British Museum

Maître W avec la clé. Monstrance gothique, 1465-1485. Gravure au burin, 46 x 11,3 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

Maître W avec la clé. Crosse d’évêque, 1465-1490. Gravure au burin, 34,6 x 19,2 cm. Vienne, Albertina

 

 

Le goût de l'architecture

Le vocabulaire architectural utilisé pour représenter ces pièces d’orfèvrerie montre le goût du Maître W avec la clé pour l’architecture. Certaines de ses gravures lui accordent une place importante, voire y sont entièrement consacrées. Souvent, l’architecture sert de luxueux décor aux saints personnages. On songe ici aux représentations d’apôtres (Saint Pierre, Saint Jean, saint André, saint Jacques le Mineur, saint Barthelemy…) ou de la Vierge à l’Enfant. Ils se tiennent, en pied ou en buste, dans des chapelles aux voûtes complexes supportées par de fins piliers, le tout dans un décor de dentelle sculptée, typique du gothique flamboyant. A travers les fenêtres, on observe parfois un paysage.

L’architecture peut aussi être traitée pour elle-même. L’intérieur d’une Chapelle gothique donne ainsi à voir la coupe d’un monument vide de tout être humain, de tout mobilier et même de toute statue, puisque les niches qui encadrent l’entrée de la chapelle sont vides. Ce vide, que l’on retrouve sur les bateaux, interroge. Signifie-t-il simplement que le graveur s’intéresse surtout à la structure et à l’ornementation des objets qu’il représente, faisant d’eux de simples objets d’étude, ou bien faut-il voir dans ce vide une signification symbolique ou philosophique ? Difficile de le savoir… Quoiqu’il en soit, on retrouve dans les vues d’architecture du Maître W avec la clé les mêmes caractéristiques stylistiques que dans ses autres gravures : un traitement perspectif approximatif et maladroit, qui contraste avec la finesse du rendu des détails ; le rendu des ombres par de fins traits parallèles ou croisés.

Maître W avec la clé. Saint Barthélémy, 1465-1490. Gravure au burin, 22,8 x 11,4 cm. Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. Chapelle gothique, 1465-1490. Gravure au burin, 39,5 x 18,5 cm (coup de planche), 40,4 x 19 cm (feuille). Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. Chapelle gothique, 1465-1490. Gravure au burin, 21,5 x 11,4 cm. Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. Intérieur d’église gothique, vers 1490. Gravure au burin, 16,4 x 13,3 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

 

Maître W avec la clé. Fontaine, 1465-1490. Gravure au burin, 23,2 x 7,3 cm. Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. Baldaquin gothique, 1480-1490. Gravure au burin, 13,2 x 6,9 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

 

 

Autres œuvres marquantes

D’autres œuvres du Maître W avec la clé ne se rattachent pas forcément à des séries, mais n’en demeurent pas moins importantes. Citons tout d’abord des représentations classiques de saints personnages, représentés sur un fond neutre ou peu orné, sans bordure : la Vierge à l’Enfant, le Salvator Mundi, Saint Martin… Ces images ne présentent pas de caractéristiques spécifiques par rapport à celles réalisés par les autres graveurs de l’époque. On retrouve notamment le goût pour les larges vêtements aux plis cassés. Il faut toutefois souligner la finesse des traits, et la qualité des ombres. Elles sont ici aussi figurées par de fins traits parallèles ou croisés, et tranchent nettement avec la manière moins précise dont les graveurs contemporains la représentent ; on songe ici par exemple au Maître de la Passion de Berlin, graveur flamand contemporain du Maître W avec la clé.

Maître W avec la clé. Salvator Mundi, 1465-1490. Gravure au burin, 10,5 x 6,8 cm. Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. La Vierge à l’Enfant, 1465-1490. Gravure au burin, 10,5 x 6,8 cm. Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. Saint Martin partageant son manteau, 1470-1480. Gravure au burin, 22,5 x 10,9 cm. Londres, British Museum

 

Autre œuvre singulière, la gravure figurant le Monogramme du Christ porté par deux anges. Ces derniers affichent un visage paisible et souriant, et séduisent par l’élégance de leur pose, la finesse de leurs ailes et la richesse des plis de leur manteau. Leur position, face à face supportant le monogramme « IHS » enflammé, rappelle nombre de reliquaires-monstrances gothiques. Au-dessus, la Sainte-Face, étonnamment paisible, s’affiche sur un suaire, accroché à l’arcade de la niche dans laquelle se tiennent les deux êtres célestes. Cette niche et son décor de rinceaux feuillagés rappellent le goût du Maître W avec la clé pour l’architecture et l’ornementation.

Maître W avec la clé. Monogramme du Christ porté par deux anges, 1465-1490. Gravure au burin, 13 x 14,6 cm. Vienne, Albertina

 

L’Arbre généalogique de la Vierge est une pièce majeure du graveur. Elle fourmille de saints personnages, et contraste ainsi avec les nefs et les chapelles vides du même maître. Au bas de la scène trône la Vierge à l’Enfant devant sainte Anne, assiste sur un riche fauteuil gothique derrière le dossier duquel germe l’arbre aux feuilles et aux fruits fantastiques. Chaque personnage est nommé par un phylactère qui s’enroule entre les branches et les feuillages. L’arbre est surmonté de la Vierge à l’Enfant, tournés vers saint Joseph, sous le regard du Père Tout-Puissant. Ici aussi, il faut souligner la finesse des traits, le goût du détail et le rendu cohérent des ombres.

Maître W avec la clé. L’arbre généalogique de la Vierge, 1465-1490. Gravure au burin, 40,5 x 27,1 cm. Vienne, Albertina

 

Enfin, deux œuvres célèbres sont à citer, qui figurent deux et trois crânes dans une niche. Elles ont été copiées par d’autres graveurs, dont Israhel van Meckenem, et renvoient bien entendu à la thématique du memento mori. On peut aussi y voir des objets d’étude sur la perspective et les proportions, le graveur faisant tourner les différents crânes pour les représenter sous des angles différents. On y retrouve, encore une fois, le goût pour l’architecture et les finesses décoratives du gothique flamboyant.

Maître W avec la clé. Deux crânes dans une niche, 1465-1490. Gravure au burin, 7,8 x 9,6 cm. Vienne, Albertina

Maître W avec la clé. Trois crânes dans une niche, 1465-1490. Gravure au burin, 13,2 x 17,5 cm. Vienne, Albertina

Date de dernière mise à jour : 06/06/2024