Le Maître IAM de Zwolle (anciens Pays-Bas, 1460-1495)

 

 

Le Maître IAM de Zwolle, orfèvre et graveur hollandais actif vers 1460-1495, également appelé Maître IA ou Maître à la navette, a produit des gravures dont la qualité, parfois inégale, le hisse au rang des meilleurs graveurs de son temps. Son identité a fait l’objet de plusieurs hypothèses et son œuvre, inspirée des grands artistes flamands mais aussi italiens du XVe siècle, a à son tour inspiré d’autres artistes.

 

 

Fig. 1. Maître IAM. Saint Augustin, 1460-1490. Gravure au burin, 26,7 x 20,8 cm. Vienne, Albertina

 

 

Théories sur l'identité du Maître IAM

Comme souvent pour les graveurs de cette période signant leurs œuvres avec des monogrammes, nous savons peu de choses sur la vie du Maître IAM. On sait qu’il était actif dans la deuxième moitié du XVe siècle, voire jusqu’au tout début du XVIe, et qu’il exerçait dans les anciens Pays-Bas, probablement à Zwolle.

Plusieurs théories existent quant à son identité. Sa signature, d’abord, nous renseigne sur sa qualité première : ce maître était avant tout orfèvre. En effet, les lettres « IA » ou « IAM » sont souvent suivies d’un motif de triangle rattaché à une sorte de fuseau d’où pend un fil [Fig. 2]. Ce motif est parfois utilisé seul. On pensait autrefois qu’il s’agissait d’une navette de tisserand, d’où le surnom de Maître « à la navette ». En réalité, il s’agit plus logiquement d’un outil d’orfèvre, une sorte de vrille ou de trépan servant à percer l’or ou l’argent. Preuve s’il en est que le Maître IAM était également orfèvre, comme nombre de ses confrères flamands au début du développement de la gravure en taille douce en Europe.

Cette qualité d’orfèvre établie, certains chercheurs ont voulu voir derrière cette signature un orfèvre ayant exercé à Zwolle à partir de 1479, Johannes Ludolphi, les lettres « IAM » signifiant « Johannes Aurifaber Meester », c’est-à-dire Jean, maître orfèvre. D’autres pensent que la signature renvoie plutôt à un peintre, identifié comme étant Johann van den Minnesten (v.1440-1504), dont aucune de ses œuvres picturales n’a survécu jusqu’à nos jours, ce qui rend cette thèse difficilement vérifiable. On sait toutefois que le fils de ce peintre, qui portait le même nom, imprima plusieurs gravures pour la ville de Zwolle en 1545. Ce fait a conduit certains à dire qu’il aurait hérité des matrices de son père potentiel, le Maître IAM.

Une autre thèse veut que la signature serait constituée des marques de deux artistes : les lettres « IAM » renverraient au peintre Johann van den Minnesten, qui aurait donné les dessins ; le symbole de la vrille renverrait à un orfèvre anonyme, qui aurait exécuté les matrices.

Fig. 2. Une des signatures du Maître IAM de Zwolle

 

 

Technique, style, influences et postérité du Maître IAM

Quelle que soit son identité, le Maître IAM était sans nul doute l’un des graveurs les plus talentueux des anciens Pays-Bas dans la seconde moitié du XVe siècle. Ses œuvres figurent parmi les plus originales et abouties de la gravure en taille douce de cette époque. La technique du burin est bien maîtrisée. Les motifs sont bien délimités par des lignes franches, tandis que le modelé, les ombres, les volumes sont rendus par des traits fins, parallèles ou croisés, ou par des pointillés pour les parties les plus claires. Le graveur montre par ailleurs une bonne maîtrise du traitement de la lumière, parfois un peu brutale, n’hésitant pas à laisser de grandes zones blanches qui éclatent au milieu des zones ombrées et éclairent ainsi les scènes ou les personnages.

S’agissant du style du Maître IAM, on en remarque deux, qui correspondent peut-être à deux périodes. Son premier style, qui correspondrait à sa première période, est assez calme et fluide, avec des personnages représentés sur des fonds blancs, ou des scènes moins chargées que celles du second style. Les contrastes de tons, entre les blancs et les noirs, sont moins marqués. Les drapés des vêtements sont plus souples et moins sculpturaux. On songe à deux gravures figurant la Vierge à l’Enfant [Fig. 3], au Saint Georges terrassant le Dragon [Fig. 13], au Salvator Mundi [Fig. 3]ou encore à une Crucifixion [Fig. 4].

Fig. 3. Maître IAM. La Vierge à l’Enfant tenant la croix, vers 1465. Gravure au burin, 22,7 x 17,2 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

 

Fig. 4. Maître IAM. Salvator Mundi, 1460-1490. Gravure au burin, 23,2 x 14,3 cm. Vienne, Albertina

 

Fig. 5. Maître IAM. La Crucifixion, 1460-1490. Gravure au burin, 30,5 x 20,4 cm. Vienne, Albertina

 

Le deuxième style du Maître IAM, qui serait apparu vers 1485, est plus chargé, plus dramatique, plus turbulent. Les scènes sont saturées de personnages et fourmillent de détails, le tout traité avec une grande finesse. Les plis des vêtements se multiplient, le décor architectural est plus riche, mettant en avant un gothique flamboyant des plus précieux. Dans les scènes historiées, et notamment dans la série consacrée à la Passion du Christ, l’étagement des plans par la superposition de groupes de personnages qui se touchent tous, ainsi que les bordures architecturées évoquent nettement la sculpture flamande contemporaine. On peut ainsi faire le lien entre les gravures du deuxième style du Maître IAM et les œuvres d’Arnt van Zwolle, peintre et sculpteur d’origine allemande ayant terminé sa carrière à Zwolle, actif de 1460 à 1492, soit à la même période que le graveur. La comparaison entre une Crucifixion du Maître IAM [Fig. 9] et la même scène représentée par Arnt van Zwolle et ses élèves sur le Retable de la Passion du maître-autel de l’église Saint-Nicolas de Kalkar (Allemagne, Rhénanie) [Fig. 10] illustre bien ce parallèle. On remarque le même isolement du Christ sur sa croix, la densité et l’agitation de la foule à ses pieds, les lances des soldats pointant vers le ciel, le tout avec la même construction en étages. L’arrière-plan de la scène sculptée, figurant le chœur d’une riche église gothique flamboyant, n’est pas sans évoquer les bordures et les fonds des scènes de la Passion du Maître IAM, notamment ceux de La Cène [Fig. 6].

Cette porosité entre gravure et sculpture a amené certains chercheurs à interpréter les estampes du Maître IAM de Zwolle comme étant des modèles de sculptures, ou bien à l’inverse des représentations de panneaux sculptés préexistants, et aujourd’hui disparus. L’hypothétique identification du maître à Johann van den Minnesten trouverait ici aussi une preuve, puisqu’on sait que cet artiste a peint des reliefs sculptés.

Fig. 6. Maître IAM. La Cène, 1460-1490. Gravure au burin, 34,7 x 26,8 cm. Vienne, Albertina

 

Fig. 7. Maître IAM. Le Christ au Mont des Oliviers, 1480-1490. Gravure au burin, 35,4 x 27,8 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

 

Fig. 8. Maître IAM. L’Arrestation du Christ, 1460-1490. Gravure au burin, 35 x 26,2 cm. Vienne, Albertina

 

Fig. 9. Maître IAM. La Crucifixion, 1460-1490. Gravure au burin, 36 x 25 cm. Vienne, Albertina

 

 

Fig. 10. Arnt van Zwolle et son école. Retable de la Passion; détail: La Crucifixion. Sculpture sur bois en partie polychrome. Kalkar, église Saint-Nicolas

 

Plus largement, le style du Maître IAM s’inspire, sans surprise, des grandes figures artistiques de son siècle. On songe en premier lieu à Rogier van der Weyden (1399/1400-1464). Le traitement des personnages et des drapés, des éléments du décor architecturé dans les arrière-plans sont proches des créations du peintre. Il faut toutefois bien dire qu’ils sont tout simplement représentatifs du style flamand du XVe siècle, et qu’on les retrouve dans presque toutes les œuvres de la période. Le Maître IAM n’a donc pas copié directement van der Weyden, il n’a fait que développer un style similaire à celui des artistes de son temps. Les mêmes remarques s’appliquent à l’inspiration que le Maître a pu puiser dans les œuvres d’un Martin Schongauer (1445/1450-1491) ou d’un Jérôme Bosch (v.1450-1516). De ce dernier, on peut par exemple établir un parallèle entre ses célèbres figures grotesques et l’expression du visage du serviteur à l’oreille coupée, dans la scène de L’Arrestation du Christ du Maître IAM [Fig. 8].

Les inspirations flamandes et allemandes ne font aucun doute, mais il faut également relever que le Maître IAM a regardé du côté de l’Italie. En témoigne sa Bataille de deux hommes avec un centaure [Fig. 11], qui est peut-être la première représentation gravée de cette créature fantastique en Europe du Nord. Les attitudes et les expressions des personnages rappellent fortement celles du Combat d’hommes nus de Pollaiolo (gravée vers 1465-1475) ou la Bataille des dieux marins de Mantegna (gravée vers 1475). Manifestement, le Maître IAM s’est inspiré des Italiens et a connu leurs œuvres, ce qui n’est pas étonnant, à une époque où les artistes circulaient de plus en plus, et où les gravures circulaient également, véritables vecteurs des influences artistiques entre les pays et les écoles. C’est ce que révèle encore le traitement des rochers dans le Saint Georges [Fig. 13], qui rappelle Mantegna, et que l’on retrouve dans d’autres de ses œuvres, par exemple La Lamentation [Fig. 12].

Comme nombre de graveurs talentueux de son époque, le Maître IAM a à sont tour été copié et a influencé d’autres artistes. Citons le peintre italien Gianfrancesco da Tolmezzo (v.1450-v.1511), le peintre flamand Francisco Henriques, actif au Portugal entre 1500 et 1518, ou encore le peintre et graveur Lucas van Leyden (1494-1533). Ses œuvres, rares, étaient appréciées et collectionnées. Ainsi, Ferdinand Colomb (1488-1539), fils du célèbre Christophe Colomb, érudit et bibliophile, possédait dans son importante collection d’estampes une épreuve de l’Allégorie de la fugacité de la Vie.

Fig. 11. Maître IAM. Combat avec un centaure. Gravure au burin, 14,6 x 20,9 cm. Paris, musée du Louvre

 

 

Fig. 12. Maître IAM. La Lamentation, vers 1475. Gravure au burin, 25,7 x 29,2 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

 

 

Etude d'œuvres du Maître IAM

L’un des chefs-d’œuvre du Maître IAM est sans nul doute son Saint Georges terrassant le dragon [Fig. 13], à la composition audacieuse, organisée autour d’une diagonale. Cabré sur son cheval au milieu d’une rivière, le saint enfonce sa lance dans la gueule du monstre volant, sous le regard de la dame qu’il délivre. On est séduit par la légèreté de la scène : l’air circule tout autour des personnages et fait voler les étoffes. Le ciel sans nuage, lumineux, renforce cette sensation et accroit la lisibilité de l’image. Dans une autre gravure figurant un cavalier, Saint Christophe [Fig. 14], l’image est saturée de détails, que l’on peut juger purement ornementaux : les nuages traités par petits enroulements dans le ciel, les manteaux démesurés du saint et du Christ qui flottent dans les airs en multipliant les plis cassés, les petites pierres qui parcourent le chemin. La scène n’en demeure pas moins lisible et savamment construite, avec un beau contraste de tons.

Fig. 13. Maître IAM. Saint Georges terrassant le dragon, 1470-1480. Gravure au burin, 19,1 x 13,1 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

 

Fig. 14. Maître IAM. Saint Christophe, 1460-1490. Gravure au burin, 28,9 x 20,7 cm. Vienne, Albertina

 

Certaines scènes religieuses, représentées dans des intérieurs, appartiennent incontestablement au deuxième style du Maître IAM. Songeons ici au Saint Bernard agenouillé devant la Vierge [Fig. 15], à Saint Augustin [Fig. 1], et à Sainte Anne et la Vierge [Fig. 16]. Ces images sont saturées de détails, qui occupent tout l’espace dans une horreur du vide manifeste : plis nombreux et lourds des vêtements, jeux sur la géométrie du dallage, raffinement des étoffes, du mobilier et du décor architectural. Elles restent toutefois bien lisibles, grâce au traitement maîtrisé des ombres et de la lumière, à l’équilibre réussi entre les blancs et les noirs.

Fig. 15. Maître IAM. Saint Bernard agenouillé devant la Vierge à l’Enfant, 1470-1485. Gravure au burin, 32 x 24,1 cm. Amsterdam, Rijksmuseum

 

Fig. 16. Maître IAM. Sainte Anne et la Vierge, 1460-1490. Gravure au burin, 28,4 x 19,8 cm. Vienne, Albertina

 

D’autres scènes prennent place à l’extérieur, comme l’Adoration des Mages [Fig. 17]. Les trois mages, l’un agenouillé, les deux autres debout, ayant ôté leurs royaux couvre-chefs, vénèrent le Christ assis sur les genoux de sa Mère, et lui présentent leurs précieux cadeaux, sous le regard humble de saint Joseph. La scène se déroule devant les ruines d’une sorte de château, sous l’arche duquel s’abritent l’âne et le bœuf. A l’arrière-plan, à droite, la ville de Bethléem, où le couple n’a pas trouvé de logement, et à gauche, un groupe de cavaliers, peut-être les soldats du roi Hérode lancés à leur poursuite. Dans cette image aussi, la construction et le traitement des ombres et de la lumière lui donnent une belle lisibilité, sans que l’aspect ornemental ne soit mis de côté : le Maître IAM multiplie les plis dans les vêtements, ainsi que les détails dans le décor : fleurs, herbes folles dans les ruines, arbres.

 

 

 

 

 

 

Fig. 17. Maître IAM. L’Adoration des Mages, 1460-1490. Gravure au burin, 35,3 x 23,9 cm. Vienne, Albertina

 

On voit que le Maître IAM de Zwolle aimait l’architecture. Elle sert, comme on l’a vu, de cadre à de nombreuses scènes et, parfois, elle constitue le sujet principal de ses œuvres. Il faut citer ici un Baldaquin gothique [Fig. 18], gravure savamment construite autour d’un axe symétrique central vertical. On retrouve tous les canons du style gothique flamboyant, en vigueur à l’époque : arts brisés, clef de voûte pendante, voûtes sculptées de soufflets et mouchettes, pinacles fleuronnés, le tout supporté par de fins piliers. Contrairement aux œuvres du Maître W avec la clé, qui portait lui aussi un intérêt manifeste à l’architecture, les niches et les socles sont habités de personnages et d’animaux fantastiques, dont les attitudes se répondent en respectant la symétrie voulue : chimères, lions héraldiques tenant des boucliers, soldats, saints entourés de phylactères. Le traitement des ombres et de la lumière est parfaitement maîtrisé et convainquant, et ajoute de la profondeur et de la lisibilité à l’image, éléments caractéristiques de nombre d’œuvres du maître.

 

 

 

 

 

 

Fig. 18. Maître IAM. Baldaquin gothique, 1460-1490. Gravure au burin, 41,2 x 28,2 cm. Vienne, Albertina

 

Enfin, citons une dernière œuvre du Maître IAM : l’Allégorie de la fugacité de la vie [Fig. 19-20]. En bas de l’image, dans une niche en anse de panier, se tient un cadavre en décomposition, en partie enveloppé dans un linceul aux multiples plis. Chair et tendons sont encore accrochés à ses jambes, un crapaud habite ses entrailles, tandis qu’un serpent s’entortille dans les orifices de son crâne complètement décharné. Au-dessus de lui, dans une niche gothique, Moïse tient les Tables de la Loi, encadré de deux crânes et surmonté d’un troisième, tandis que dans les écoinçons se tiennent deux autres prophètes. Le message, rappelé par les nombreux phylactères, est clair : seul le respect des Dix Commandements permet d’accéder au Salut. L’image a aussi valeur de memento mori : les plaisirs, les gloires et les ambitions terrestres sont vains ; les actions des hommes sur Terre ont un impact sur leur vie dans l’au-delà, et la Mort en est l’arbitre. Cette thématique est un sujet courant au XVe siècle, et on la retrouve chez d’autres graveurs contemporains, comme le Maître W avec la clé. S’agissant du style, on retrouve tous les éléments qui caractérisent le Maître IAM : clarté de la composition, maîtrise du traitement des ombres et de la lumière, goût pour les détails. Comme vu plus haut, Ferdinand Colomb possédait un exemplaire de cette gravure. Le British Museum en conserve une rehaussée.

Fig. 19. Maître IAM. Allégorie de la fugacité de la Vie - Memento mori, 1460-1490. Gravure au burin, 33 x 22,7 cm. Vienne, Albertina

Fig. 20. Maître IAM. Allégorie de la fugacité de la Vie - Memento mori, 1480-1490. Gravure au burin, rehaussée, 32,5 x 22,3 cm. Londres, British Museum

Date de dernière mise à jour : 09/08/2024