Le Maître de la Passion de Berlin (anciens Pays-Bas, 2e moitié du XVe siècle)

 

 

Le Maître de la Passion de Berlin est un graveur actif dans les anciens Pays-Bas, dans la deuxième moitié du XVe siècle. Comme nombre de graveurs sur métal de l’époque, il était orfèvre de métier. On l’a identifié à Israhel van Meckenem le Vieux, père du célèbre graveur qui hérita de son atelier à Bocholt, mais certains réfutent cette hypothèse. Comme ses prédécesseurs, il ne maîtrise pas l’anatomie et la cache à l’aide de drapés retombant jusqu’aux pieds. Les visages sont uniformes et stéréotypés. La perspective est gauche. Il se différencie cependant par la grâce et la sobriété d’attitude qu’il donne à ses personnages, et par un métier habile et sûr, qui s’explique par sa qualité d’orfèvre. Les ombres sont savamment rendues par de fines hachures parallèles ou croisées. On lui attribue plus de cent estampes, qui se répartissent en plusieurs séries.

 

Fig. 1. Maître de la Passion de Berlin. La Pentecôte, 1450-1470. Gravure au burin rehaussée, 7,7 x 5,5 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France

 

 

Les ornements

Les plus belles gravures du Maître de la Passion de Berlin sont sans doute ses Ornements [Fig. 2 à 5]. Dans de riches rinceaux feuillagés et parfois fleuris, évoluent des personnages et des animaux. Leurs attitudes, leurs mouvements, leurs positions jouent avec les tiges et les feuilles, qui ne sont pas qu’ornementales. Ils s’y agrippent, s’y appuient, s’y reposent. On y voit des lutteurs, un cavalier nu cherchant à maîtriser sa monture, une belle dame sagement agenouillée, un chasseur tuant sa proie, un paysan jouant aux équilibristes devant un oiseau, un arbalétrier chargeant son arme. Un certain humour se dégage de certaines scènes, par l’absurdité des poses ou des situations. D’autres ornements sont vierges de tout personnage, et laissent libre court à la nature pour se développer, les rinceaux envahissant tout l’espace.

Fig. 2. Maître de la Passion de Berlin. Ornement au chasseur, 1450-1470. Gravure au burin, 7,2 x 8,8 cm. Vienne, Albertina

Fig. 3. Maître de la Passion de Berlin. Ornement à l’acrobate, 1450-1470. Gravure au burin, 7,4 x 8,8 cm. Vienne, Albertina

Fig. 4. Maître de la Passion de Berlin. Ornement avec une dame, 1450-1470. Gravure au burin, 7,4 x 8,8 cm. Vienne, Albertina

Fig. 5. Maître de la Passion de Berlin. Ornement avec deux lutteurs, 1450-1470. Gravure au burin, 8,3 x 9,8 cm. Vienne, Albertina

 

 

Les cartes à jouer

La thématique de la nature et des animaux se retrouve dans les cartes à jouer gravées par le Maître de la Passion de Berlin [Fig. 6 à 8]. Coqs, lapins, rapaces, chiens, licorne, sanglier, chameau ou encore éléphant, pleins de vie, interagissent sur un fond vide ou dans des paysages au dessin simple et maladroit. Si là aussi on remarque la maladresse des proportions, et la fantaisie avec laquelle le graveur représente des animaux exotiques qu’il n’a sans doute jamais vus, ces images séduisent par leur vivacité.

Fig. 6. Maître de la Passion de Berlin. Trois oiseaux chimériques, 1450-1470. Gravure au burin, 8,9 x 6,8 cm. Vienne, Albertina

Fig. 7. Maître de la Passion de Berlin. Chameau et éléphant, 1450-1470. Gravure au burin, 8,9 x 6,8 cm. Vienne, Albertina

Fig. 8. Maître de la Passion de Berlin. Licorne et animal mythique, 1450-1470. Gravure au burin, 8,5 x 6,8 cm. Vienne, Albertina

 

 

Les sujets religieux

Plus classiques, les scènes religieuses prennent place dans divers encadrements. Les plus simples évoquent les gravures primitives, avec leurs cadres rectangulaires au décor sommaire et une perspective induite par la superposition des personnages. La finesse des traits, que l’on trouve dans certaines gravures du Maître de la Passion de Berlin, fait ici souvent défaut. Les visages sont stéréotypés et parfois disproportionnés par rapport aux corps [Fig. 9. L’Annonciation], les expressions presque neutres [Fig. 11. Le Christ aux outrages], les lignes du décor et les hachures traitées avec un manque de précision évident [Fig. 1. La Pentecôte, Fig. 10. La Visitation, Fig. 11. Le Christ aux outrages, Fig. 9. L’Annonciation]. On remarque notamment dans les gravures conservées à la Bibliothèque nationale de France, que certaines ont été rehaussées de couleurs et enluminées, pour orner des livres [Fig. 1. La Pentecôte, Fig. 12. Sainte Elisabeth, Fig. 13. Sainte Lucie]. On note à chaque fois le soin qu’a pris le peintre pour laisser visibles les hachures et certains traits principaux. La technique de la gravure n’est ainsi pas masquée pour donner l’illusion d’un dessin à part entière ; les deux techniques se complètent. Un manuscrit retrouvé à Arnhem, conservé au Kupferstichkabinett de Berlin, contient sept gravures d’une série sur la Passion du Christ, datées de 1482, contrecollée sur ses pages pour l’illustrer. Ce sont ces gravures qui ont donné leur nom au Maître de la Passion de Berlin.

Fig. 9. Maître de la Passion de Berlin. L’Annonciation. Gravure au burin, 7,3 x 5,3 cm. Londres, British Museum

Fig. 10. Maître de la Passion de Berlin. La Visitation. Gravure au burin, 8,3 x 6,7 cm. Londres, British Museum

Fig. 11. Maître de la Passion de Berlin. Le Christ aux outrages. Gravure au burin, 6,9 x 5 cm. Londres, British Museum

 

Fig. 12. Maître de la Passion de Berlin. Sainte Elisabeth, 1450-1460. Gravure au burin rehaussée, 7,3 x 3,7 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France

Fig. 13. Maître de la Passion de Berlin. Sainte Lucie, 1450-1460. Gravure au burin rehaussé, 8 x 5,9 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France

 

Certains saint personnages sont représentés au centre de rectangles sans bordures décorées, sur un sol pavé traité avec une perspective arbitraire. Les volumes des corps sont complètement masqués par de lourds manteaux aux plis cassés, ce qui ne parvient pas à cacher le manque d’harmonie des proportions [Fig. 14. Salvator Mundi]. Le Christ, les apôtres [Fig. 15 et 16] et les saints sont entourés et surmontés de banderoles inscrites, aux enroulements très décoratifs.

Fig. 14. Maître de la Passion de Berlin. Le Christ, 1450-1470. Gravure au burin, 7,8 x 5,9 cm. Vienne, Albertina

Fig. 15. Maître de la Passion de Berlin. Saint Philippe, 1450-1470. Gravure au burin, 8,6 x 6,4 cm. Vienne, Albertina

Fig. 16. Maître de la Passion de Berlin. Saint Pierre, 1450-1470. Gravure au burin, 8,6 x 6,4 cm. Vienne, Albertina

 

 

D’autres scènes religieuses ou saints personnages s’inscrivent dans un décor et un cadre plus importants. Sainte Véronique [Fig. 17] se tient dans une sorte de chapelle gothique flamboyant, où la perspective et les proportions de l’architecture sont maladroites. L’aspect décoratif qui se dégage de l’ensemble est indéniable, que ce soit dans la dentelle sculptée des voûtes ou dans la complexité du carrelage. Gravure plus fine et raffinée, la Sainte Trinité [Fig. 18] est représentée sous une tente dont deux anges relèvent les pans, le tout inscrit dans un cercle où se déroulent des inscriptions. Les traits et les hachures sont fines et plus précises que dans nombre d’œuvres du Maître de la Passion de Berlin, les visages, notamment celui du Christ, sont plus expressifs.

Fig. 17. Maître de la Passion de Berlin. Sainte Véronique, 1450-1470. Gravure au burin, 14,9 x 9,8 cm. Vienne, Albertina

Fig. 18. Maître de la Passion de Berlin. Médaillon : la Sainte Trinité, 1450-1470. Gravure au burin, D : 15,3 cm. Vienne, Albertina

L’un des chefs-d’œuvre du graveur est sans nul doute son Hortus Conclusus avec la Vierge à l’Enfant entourée de huit saintes [Fig. 19]. L’iconographie est classique : dans un jardin clos, matérialisé par les barrières en branchage à l’arrière-plan et les fleurs sur le sol, la Vierge trône au centre, sa tête coiffée d’une couronne impériale. Elle est en train de constituer une couronne de roses, sa fleur symbolique, et en tire une d’un panier tendu par l’une des saintes qui l’entourent. L’enfant Jésus se tient debout devant elle. D’une main, il tient un anneau, et de l’autre il enserre le doigt de sainte Catherine d’Alexandrie, reconnaissable aux instruments de son martyre, l’épée et la roue ; il s’agit là de la représentation du mariage mystique de la sainte. Une autre sainte, face à elle, tenant la palme du martyre et cajolant un petit agneau, tient également un anneau, tendu vers le Christ. On reconnaît sainte Barbe avec sa tour, ou sainte Marguerite et son dragon. On remarque l’atmosphère paisible qui règne sur la scène, et les sourires affichés par tous les visages. Cette félicité est accentuée par les anges musiciens qui jouent à l’arrière-plan, derrière la barrière, le tout sous le regard tout-puissant de Dieu le Père et du Saint-Esprit. Cette gravure, où règne une certaine horreur du vide, qui caractérise nombre de gravures au criblés qui ont pu s’inspirer du Maître de la Passion de Berlin, séduit par son aspect très graphique, résultant de la répétition des motifs des plis des vêtements, des entrelacs de la barrière ou encore des plumes des ailes des anges. Le traitement de la perspective est toutefois sommaire, et résulte de la superposition des personnages. Les ombres, rendues par de petites hachures parallèles, sont peu marquées, ce qui nuit peut-être à la lisibilité de l’image.

Fig. 19. Maître de la Passion de Berlin. Hortus Conclusus avec la Vierge à l’Enfant entourée de huit saintes, 1450-1470. Gravure au burin, 27 x 19,3 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France

Date de dernière mise à jour : 08/06/2024